La 'Ndrangheta, mafia calabraise

Publié le par Jérôme TASSI

             La ‘Ndrangheta est l’organisation criminelle qui domine la région de Calabre à l’est du Mezzogiorno (villes principales : Reggio de Calabre, Crotone, Cosenza, Catanzaro). D’origine rurale comme sa voisine Cosa Nostra, elle s’est développée sans trop attirer les médias et la répression policière. Il en résulte une difficulté à connaître son fonctionnement puisqu’il y a pas de repentis d’envergure, sources essentielles qui permettent par leur recoupement d’approcher ces groupes criminels hermétiques. Ce relatif anonymat ne doit pas cacher la réalité et  minorer l’étendue de cette mafia. Giuseppe Pisanu, ancien ministre de la Justice, affirmait en 2004 qu’elle est devenue « l’organisation criminelle la plus puissante et la plus dangereuse en raison de sa férocité ». Selon le préfet de Calabre en 2005, « la ‘Ndrangheta joue le premier rôle, au niveau mondial, dans l’approvisionnement en cocaïne ». Son chiffe d’affaires est évalué à 35 milliards d’euros alors que le revenu de la région calabraise ne dépasse pas 29 milliards d’euros. (Source : figaro.fr, article publié le 18/10/06).

Origine

        

         S’il est toujours difficile de dater précisément l’apparition d’une structure criminelle de cette envergure, on estime que la mafia calabraise s’est développée principalement à partir des années 1860-1870. Le premier témoignage officiel de son existence remonte à 1888 lorsqu’est dénoncée au préfet une secte criminelle « qui n’a peur de rien ». Comme en Sicile, la Calabre constituait un terreau fertile pour le développement d’une puissance criminelle en raison :

1) de son histoire mouvementée avec des invasions régulières

 2) de la pauvreté (1/4 de la population au chômage) et

3) d’une identité culturelle assez forte, symbolisée par un dialecte inspiré du grec précieusement conservé. De façon plus anecdotique, des chansons traditionnelles promouvant les valeurs de la ‘Ndrangheta ont été remixées et vendues tout à fait légalement. (voir http://crdp.ac-amiens.fr/internotes/Magazine/mafia/mafia_10.htm).


        Etymologiquement, le terme de ‘Ndrangheta « pourrait dériver de ‘andraghatos’, substantif du grec ancien d’Italie qui indiquait l’homme courageux ou bien de ‘ndranghetista’ qualificatif nettement péjoratif cette fois, désignant un homme peu viril, danseur, bouffon, qui prenait part à la tarentelle » (M-A. Matard-Bonucci, Histoire de la mafia). En fonction des historiens, l’origine même d’une société criminelle en Calabre serait issue soit d’une secte espagnole soit d’une « colonisation » de Cosa Nostra sicilienne ou de la Camorra napolitaine. Ces deux dernières hypothèses seraient étayées par le fait qu’initialement, les soldats de la ’Ndrangheta était appelées des camorristes, et que l’organisation elle-même était connue sous le nom d’Onorata Societa (Honorable Société, ancien nom de la mafia sicilienne).

 

Structure

             A l’heure actuelle, on estime à 6000 « soldats » le nombre d’affiliés à la ‘Ndrangheta à travers le monde, dont un peu plus de 3000 en Calabre. Cette concentration criminelle et sa longue tradition d’implantation font de la Calabre la région avec la plus grande « densité criminelle » avec environ 27% de la population qui serait en lien direct ou indirect avec l’organisation criminelle (estimation en 1994). Dans la seule région de Reggio de Calabre, la concentration d’affiliés par rapport à la population atteindrait 1% ! Les clans mafieux sont plutôt regroupés (200 affiliés au maximum, 150 en moyenne) mais très regroupée sur eux-mêmes en raison de liens du sang particulièrement forts.  Le résultat en est « un foisonnement d’individus criminels portant les mêmes noms, prénoms et habitant les mêmes agglomérations. Cela ne simplifie pas, on s’en doute, le travail d’information ou de répression des forces de l’ordre » (X. Raufer, 1994).

Parler d’organisation est en quelque sorte un abus de langage étant donné qu’il n’y aurait pas d’organe central du type Coupole, chargé d’assurer la direction du mouvement et de gérer les différentes familles, elles-mêmes très hiérarchisées en revanche (appelées « ndrine »). De ce fait règne une guerre des clans plus ou moins larvée, lorsqu’un territoire contrôlé  est l’objet d’une tentative d’appropriation. Dans la décennie 80, ces conflits auraient entraîné la mort de 700 personnes. Il faut toutefois nuancer cette apparente désorganisation régionale. En effet, il semblerait d’après les témoignages de quelques repentis, qu’une coordination ait été mise en place entre les principaux chefs de famille au sein du crimine. Cette réunion annuelle permettrait de définir les grandes orientations  et notamment la coopération pour les trafics internationaux et les relations avec les autres groupes criminels, ainsi que le règlement de conflits locaux entre ndrine.  Allant encore plus loin, il existerait depuis quelques années un organe comparable à la Coupole Sicilienne. Intitulé province, « ce nouveau superorgane collégial de régulation serait composé de trois corps inférieurs dits mandamenti – comme en Sicile » (J-F Gayraud). Si cette organisation était avérée, elle témoignerait, si besoin était, de l’autorité de Cosa Nostra dans tout le Mezzogiorno italien, et sa capacité à imposer une structure analogue à la sienne. Pratiquement, un organe central est nécessaire pour l’internationalisation des processus criminels, et notamment les trafics de stupéfiants, source de revenues conséquente de la ‘Ndragheta.

 

 

 

 

Bibliographie supplémentaire par rapport aux livres déjà cités :

-         Histoire de la mafia, M-A Matard-Bonucci ; Bruxelles, Complexe, 1994

-         Le monde des mafias, J-F Gayraud, Editions Odile Jacob, 2005

-         Planète mafieuse, X. Raufer, 1994

 

 

 

 

Publié dans Criminologie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Pour infos.