Le phénomène des tournantes
La délinquance sexuelle a connu depuis une trentaine d’années une évolution importante en France. Les victimes ont commencé à davantage porter plainte pour des faits qui autrefois seraient restés cachés pour plusieurs types de raisons (honte, culpabilité, peur des représailles, violences exercées par le mari, inceste pratiqué couramment au sein d’une famille…). Il en est résulté une explosion des statistiques judiciaires, un abaissement du chiffre noir pour ces infractions et une multiplication des études à ce sujet. Parallèlement, s’est développée au sein de la société française un dégoût pour ces délinquants, parfois bien plus que pour les auteurs d’homicide. Le phénomène des « tournantes » largement médiatisé dans les années 2001-2003 s’inscrit dans cette perspective. Est-il nouveau ? Comment peut-on l’analyser ?
Loin d’être une nouveauté du début du XXIème siècle comme le déferlement médiatique aurait pu le faire penser, l’existence de viols collectifs est assez ancienne. Sans remonter très loin dans le temps, les Professeurs Yamarellos et Kelsen écrivent en 1970 que « le viol commis par plusieurs auteurs est de plus en plus fréquent dans les grand centres urbains. A la sortie d’un bal, un garçon séduit une fille et ils décident d’aller faire un tour, les camarades du garçon rejoignent le couple, et c’est le « barlut », la « galère ». En 1963, 92 garçons, pour la plupart mineurs, se sont vus appréhender pour de tels crimes ». Le phénomène est donc loin d’être nouveau et les statistiques montrent que le volume de ces infractions est stable, seul l’intérêt médiatique à partir de 2001 ayant pu faire croire à une explosion de ces viols collectifs. Selon Laurent Mucchielli, « cette vision s’inscrit en effet dans le cadre plus large du débat sur « l’insécurité » et les « banlieues », amplifié encore par le thème des violences faites aux femmes et par la peur de l’Islam ». Il note que depuis 2004, le sujet n’a quasiment plus été abordé à la télévision ou dans les journaux. C’est malheureusement un nouvel exemple d’un déferlement médiatique à un moment donné, le thème étant jeté aux oubliettes par la suite comme s’il n’existait plus.
Quoiqu’il en soit, l’horreur suscitée par ces crimes pose des questions sur l’état d’esprit de leurs auteurs. Qui sont ces jeunes ? Quelles sont leurs motivations ? Selon une étude menée par le Dr Huerre, expert psychiatre auprès de la Cour d’appel de Paris, étudiant 52 expertises psychiatriques d’individus ayant participé à des viols collectifs, il ressort les éléments suivants :
- les agresseurs ont tous entre 13 et 26 ans mais 51 % de l’échantillon est représenté par la tranche 15-17 avec un pic de 21% pour l’âge de 16 ans.
- ces individus sont largement en échec scolaire et suivent généralement des filières professionnelles.
- résidant dans les banlieues, ils sont issus de famille nombreuse (44% de familles de 5 enfants ou plus). Les parents ont des emplois peu qualifiés, et le plus souvent la mère ne travaille pas.
- les habitudes et les antécédents médicaux ne présentent pas de particularité par rapport à la moyenne de la population.
- seuls 30% avaient déjà eu affaire à la police mais seulement 2 sujets de l’échantillon avaient été condamnés pour viols.
- concernant l’acte en lui-même, les faits notables sont d’une part le nombre de coagresseurs (3 ou 4 le plus souvent), et d’autre part l’appartenance au quartier de la victime. Enfin, 30% déclarent n’avoir pu éjaculer et 20% de l’échantillon était vierge avant le viol.
En conclusion, l’auteur précise que « dans ces conditions, il n’est pas surprenant que 50 des 52 expertises se concluent par une accessibilité à une peine de prison, à une non dangerosité psychiatrique et à une absence de pathologie psychiatrique structurée ».
Quelles peuvent être les raisons du passage à l’acte pour de tels crimes ? Etudiant ce phénomène, Laurent Mucchielli distingue plusieurs mécanismes qui peuvent y mener :
- l’affirmation virile et l’éducation sexuelle. Il s’agit le plus souvent d’un membre du groupe -souvent le « chef »- qui « donne » à sa bande une fille de son entourage extrafamilial. Ce type de comportement est aussi « un évènement catalyseur pour le groupe qui peut éprouver à cette occasion sa cohésion voire sa hiérarchie interne ».
- la domination violente et quotidienne. Ces cas semblent rares mais peuvent se retrouver notamment entre détenus.
- le rite de passage. Il s’agit surtout des cas de bizutage. Pour ce processus, il se pourrait que la majorité des infractions ne soit pas révélée par peur des représailles et par la tradition de ces pratiques pouvant conduire à une certaine normalité du viol collectif
- le cynisme des prédateurs. Dans ce cas, les auteurs ne connaissent pas la victime et profitent d’une situation de faiblesse de celle-ci (endroit isolé, nuit, handicap). L’acte sera le plus souvent unique.
- la réduction prostitutionnelle. Il s’agit le plus souvent de groupes plus âgés qui « utilisent par la contrainte une opportunité de relation sexuelle comparable à leurs yeux au recours occasionnel à la prostitution ».La victime aura une réputation de « fille facile » ce qui participera à la déculpabilisation des auteurs.
- la punition (a priori cas assez rare).
Bibliographie sommaire :
-Etude du Dr Huerre http://psydocfr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/confagrsex/RapportsExperts/Huerre.html#_ftn1
-Recherches sur les viols collectifs : données judiciaires et analyse sociologique, par Laurent Mucchielli, Questions pénales, janvier 2005