Brefs propos sur la complicité de conduite en état alcoolique
Il y a quelques années, la presse avait rapporté un jugement du tribunal correctionnel de Dijon qui avait condamné un cafetier qui avait servi à boire à une personne manifestement déjà bien alcoolisée. Cette personne est partie en voiture de l’établissement, a percuté une autre voiture causant la mort des trois personnes qui s’y trouvaient. Je précise que le cafetier n’a pas été condamné pour complicité d’homicide involontaire mais complicité de conduite en état alcoolique. Cette décision avait suscité un débat entre ceux qui étaient favorables à une implication accrue de ceux qui peuvent lutter contre le fléau de l’alcool au volant (principalement les tenanciers de bar, discothèques…) et ceux plus favorables à la liberté individuelle et selon qui, chacun est libre de boire et les cafetiers n’ont pas à se transformer en agents de la sécurité routière. Rappelons toutefois que les débitants de boissons sont tenus à une obligation de vigilance et ne doivent ni recevoir dans leurs établissements ni a fortiori servir de l’alcool aux personnes manifestement ivres (art. R.3353-3 du Code de la Santé Publique).
La jurisprudence ultérieure n’a pas toujours été aussi dure envers les débitants de boissons. Ainsi, la Cour d’appel de Douai (3 mai 2005) a pu relaxer une prévenue qui avait servi une bière à un homme déjà manifestement plus en état de conduire et qui avait commis un accident par la suite. Dans cette affaire, il n’avait pas pu être démontré que la cafetière savait que son client était venu en voiture et que, par conséquent, il allait vraisemblablement repartir avec. Il faut donc prouver, pour caractériser l’infraction, d’une part, le caractère manifeste de l’état alcoolique et d’autre part, la connaissance du moyen de locomotion du client. On peut penser qu’à la campagne, les cafetiers devraient être plus vigilants qu’en zone urbaine dès lors que la distance rend plus probable les déplacements en voiture.
Récemment, la Cour d’appel d’Angers (3 octobre 2006) a eu à connaître d’une affaire où les 2 prévenus avaient porté leur collègue de travail manifestement dans l’incapacité de conduire en raison de son état alcoolique jusqu’à son véhicule. Suite à l’accident causé par ce dernier, les 2 collègues sont poursuivis pour complicité de conduite en état alcoolique. Il ressort de leurs déclarations que leur ami « était totalement ivre » qu’ils le tenaient « pour pas qu’il tombe ». Dès lors, ils avaient nécessairement connaissance de l’imprégnation alcoolique de leur collègue (3,7 grammes par litre de sang !) et ne pouvaient ignorer qu’il allait conduire pour rentrer chez lui, alors qu’il était dans l’incapacité d’arriver tout seul à sa voiture. L’élément intentionnel du délit est donc caractérisé de même que l’élément matériel qui consiste à l’avoir porté. La Cour d’appel confirme donc le jugement qui avait condamné les prévenus à 2 mois de prison avec sursis.
On peut se demander quelle serait la décision en cas de personnes privées qui poussent quelqu’un à la consommation (« un digestif pour la route ») en sachant que la personne va conduire ensuite. En effet, on peut caractériser un acte positif de fourniture de moyens (proposer un alcool fort) et un élément moral (la connaissance du retour en voiture). Je n’ai pas trouvé de décisions en ce sens, mais cela provoquerait sans aucun doute bien des protestations.