La liberté religieuse inférieure à un règlement de copropriété

Publié le par Jérôme TASSI

              

Le titre ci-dessus exagère à peine la position de la Cour de cassation dans les affaires où elle doit concilier la liberté de religion et le respect des dispositions du règlement intérieur, même si, en principe, la hiérarchie des normes devrait aboutir à une solution inverse. Lors de la fête du Souccoth, il est traditionnel pour les personnes de confession juive de construire une cabane précaire, symbolisant l’errance des Hébreux dans le désert après la fuite d’Egypte. Les contraintes urbaines font que les pratiquants doivent réaliser leur cabane sur leur balcon au vu et au su de tous. Or, les règlements de copropriété et d’urbanisme sont très vigilants sur ce qu’il est possible de mettre ou de construire sur un balcon.

 

Dans l’affaire soumise à la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation le 8 juin 2006, le syndic, mandaté par l’Assemblée générale avait agi en référé pour demander l’enlèvement d’une telle construction, le règlement de copropriété interdisant les cabanes sur les balcons. En réponse, l’illégalité de la décision des copropriétaires était alléguée en ce qu’elle violait la liberté des pratiques religieuses. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait donné raison à la copropriété et la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision. Elle affirme sans aucune équivoque que « la liberté religieuse, pour fondamentale qu’elle soit, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d’un règlement de copropriété ». Les limites apportées à une liberté fondamentale doivent en principe être toujours proportionnées au but recherché. Le contrôle opéré par la Cour peut sembler  dès lors particulièrement sévère puisque la cabane est nécessairement temporaire (du moins en principe) et qu’elle n’est pas censée  être un déménagement de grande envergure, visuellement dérangeant. Pour autant, il semble que le règlement de copropriété ait été antérieur à l’arrivée dans l’immeuble des requérants. Ces derniers étaient donc libres de refuser ce règlement en trouvant une autre habitation. Dès lors, à mon sens, c’est implicitement la liberté individuelle qui justifie l’atteinte à la liberté de religion. On peut tout de même constater que la liberté religieuse, si elle est fondamentale, peut subir des atteintes assez importantes. Par comparaison, la liberté de communication justifie le droit d’avoir une antenne individuelle sur son balcon (loi du 2 juillet 1966 modifiée). Or, ce droit s’explique notamment pour que les populations immigrées puissent rester en contact avec leur pays d’origine.  Les immeubles remplis d’antenne ne sont pourtant pas ce qu’il y a de plus esthétique. On peut donc en déduire que le liberté religieuse n’est pas aussi fondamentale que la liberté de communication, ce qui s’explique en France pour des raisons historiques.

 

La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence précédente. Notamment, elle a jugé qu’aucune obligation ne pesait sur un bailleur de mettre en place un système de fermeture mécanique et non pas un digicode, l’usage de toute source d’énergie étant interdit dans la religion juive le jour du Shabbat (Civ.3ème, 18 décembre 2002 : « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs, n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique »). Dans une note sous l’arrêt commenté par les services de la Cour de cassation, il est fait référence à un arrêt de la Cour suprême du Canada sur un problème similaire. Le 30 juin 2004, elle a décidé que l’interdiction de toute construction sur les balcons d’immeuble, prévue dans un règlement de copropriété, allait à l’encontre de la liberté de religion des requérants. Toutefois, cette solution contraire fut adoptée à la plus courte majorité des juges (5 contre 4).

 

La liberté religieuse est décidément mouvante (affaire du voile, financement des mosquées…). Elle est également en cause dans l’affaire Redeker où elle se retrouve en confrontation avec la liberté d’expression. Alors que les problèmes relatifs à la religion chrétienne sont résolus depuis plusieurs décennies (sonneries des clochés, cérémonies traditionnelles…), la liberté de religion se retrouve confrontée à des problématiques nouvelles au contact des religions juive et musulmane.

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C
Plusieurs principe sont à prendre en considération dans cette affaire.D'abord, le principe que la liberté religieuse est de l'ordre strictement privé et ne doit donc pas nuire à autrui ni violer la loi. De ce fait, elle se trouve automatiquement inférieure au règlement de copropriété qui est une "loi".D'autre part, dans cette question de cabane, il suffit qu'un copropriétaire se soit plaint pour que la copropriété ai dû agir, puisqu'il s'agissait d'une violation claire du règlement. L'action était fondé même si elle était stupide.Enfin, il y a le principe de précaution qui rentre en jeu. Si la cabane est provisoire et mal fixé, elle peut causé des dommages dont la copropriété pourrait être tenue responsable, faute d'avoir fait respecter le règlement.
P
Cet arrêt sur la cabane ne peut pas être comparé à la jurisprudence relative aux verrous mécaniques lors de shabbat. Dans le cas du verrou, les locataires exigent une prestation du bailleur, laquelle peut créer un déficit de jouissance voire un préjudice à tous les habitants de l'immeuble étant donné que les verrous mécaniques sont moins efficaces que les électroniques. Dans le cas de la cabane ils ne demandent aucune prestation, simplement une interprétation moins stricte que la plus stricte possible du règlement de copropriété. En effet, sans avoir besoin de déclarer le règlement contraire à un principe aussi élevé, à mon avis il suffit de prendre en compte l'intention de l'auteur du règlement dans son interprétation, qui cherchait à interdire d'autres types de constructions que les cabanes en question.Je trouve donc cet arrêt très difficile à comprendre et à justifier.
W
Ces problématiques semblent nouvelles et exponentielles, tout est prétexte à revendiquer ... même un digicode !!! Les croyances sont intrinséques à l'individu moderne.
M
Je trouve osé de parler de problématiques nouvelles au contact de la religion juive, alors que la présence juive en France est immémoriale. Certaines questions se posent sur certains sujets, c'est aussi le cas pour le christianisme (euthanasie, avortement, etc).<br /> <br /> Concernant l'affaire du digicode, je ne crois pas me tromper en disant que l'électricité était inconnue au temps du fondement de la religion juive. On doit donc en déduire que l'énergie électrique n'était pas particulièrement visée. Si toute l'énergie est visé, alors un interrupteur mécanique ne saurait résoudre le problème, puisqu'il nécessite aussi une énergie, l'énergie mécanique.<br /> <br /> Par ailleurs, on observe une grande similitude entre les problématiques à l'Islam et les anciennes problématiques du christianisme, qui tiennent principalement à la nature politique qui est donnée par de nombreux musulman à leur religion, aspect à présent périmé dans le christianisme.
J
Bien sur que la religion juive est présente en France depuis bien longtemps,  je n'ai pas dit le contraire. La seule constatation est que de plus en plus d'affaires la concernant sont portées en Justice.Pour le digicode, chacun est libre de penser ce qu'il veut des interdits religieux.