Etre et avoir ou le statut des personnes filmées dans un documentaire

Publié le par Jérôme TASSI

          Après le succès populaire du documentaire « Etre et avoir » qui racontait la vie d’une classe unique en Auvergne, le film a continué à faire du bruit dans les prétoires et dans la presse. Considérant qu’il n’avait pas profité des recettes importantes générées par le documentaire (près de 2 millions d’entrées), M.Lopez, l’instituteur, a entamé plusieurs procédures dont une devant le Conseil des Prud’hommes de Perpignan pour voir reconnaître un contrat de travail entre les réalisateur et producteur et lui-même. M.Lopez fur débouté faute de pouvoir relever un lien de subordination, critère essentiel pour caractériser un contrat de travail.

 

          Mais, plus habilement, il a également saisi le TGI de Paris pour se voir reconnaître des droits sur l’œuvre. Un jugement du 27 septembre 2004 a refusé toutes les demandes formées par l’instituteur. Ce dernier ayant formé appel, la Cour d’appel de Paris vient de rendre un arrêt confirmant en tous points les premiers juges (CA Paris, 29 mars 2006). Cet arrêt est particulièrement intéressant puisqu’il dresse strictement les contours des droits des personnes filmées dans un documentaire, fermant vraisemblablement un contentieux important qui aurait pu se développer. Devant le Cour, M.Lopez soulevait plusieurs moyens qui auraient pu lui faire obtenir des fonds pour sa participation au film.

 

         D’une part, il réclamait à titre principal que lui soient reconnus des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre.

          Tout d’abord, il soutenait qu’il avait la qualité de coauteur étant intervenu dans le choix des séquences filmées et qu’il aurait coécrit les dialogues puisque son cours était filmé.Selon le Professeur Linant de Bellefonds, «  pour prétendre à la qualité de coauteur, il faut avoir marqué l’œuvre de l’empreinte de sa personnalité ».Or il est indéniable que le film aurait été tout autre sans l’apport de la personnalité de M.Lopez. A mon sens, cet argument aurait pu prospérer mais la Cour a décidé que « la personne filmée dans le cadre d’un documentaire ne joue pas un rôle ni ne récite un texte. Elle ne fait qu’accomplir des tâches ou fonctions habituelles, simple transcription de la réalité et tenir spontanément des propos sous l’œil d’une caméra. Etre le sujet d’une œuvre audiovisuelle ne peut dés lors lui conférer la qualité d’artiste interprète ou de coauteur de cette œuvre ». La qualité de coauteur des dialogues lui est également déniée car ils ne sont pas « le fruit d’une création préexistante ». L’originalité des propos semble donc faire défaut en l’espèce ce qui ne paraît pas évident de prime abord.

 

          M.Lopez entendait ensuite faire protéger son cours oral en tant qu’œuvre ce qui a déjà été admis en jurisprudence pour les cours de Roland Barthes au Collège de France (CA Paris, 24 novembre 1992). La demande était envisageable puisque son cours était bien original, chaque enseignant ayant sa propre manière d’enseigner. Assez curieusement la Cour relève qu’il n’est « pas davantage possible de considérer que le cours dispensé par un instituteur dans le cadre d’un documentaire sur la classe unique où il enseigne, soit susceptible [d’être protégé au titre du droit d’auteur] dès lors que la composition et l’enchaînement des cours qu’il dispense ne mettent en œuvre aucune méthode pédagogique originale mais répondent à un objectif d’adaptation à l’hétérogénéité  de niveau de ses élèves et que le contenu de ses cours ne révèle aucun choix inédit protégeable par le droit d’auteur ». On aura connu la jurisprudence plus laxiste pour attribuer le bénéfice du droit d’auteur…

 

         Enfin, bien qu’il prétendait avoir « interprété » certaines scènes comme un véritable acteur, la qualité d’artiste interprète lui est refusée pour des raisons apparemment factuelles.

 

         D’autre part, l’instituteur se plaignait de violations de son droit à l’image dans l’exploitation commerciale du film. La jurisprudence exige généralement une autorisation pour chaque mode d’exploitation (cinéma, télévision, DVD…). En l’absence d’autorisation expresse, la Cour considère que « la personne filmée ayant accepté d’être suivie par une équipe de tournage pendant 9 mois et de participer à la promotion du documentaire, est réputée avoir tacitement consenti à une telle utilisation ». En bref, il ne pouvait ignorer les différents modes d’exploitation d’un film et son acceptation tacite pour la diffusion en salle se transforme en autorisation générale et inconditionnelle ! Ici encore, cet arrêt dénote dans une jurisprudence traditionnellement stricte sur la protection du droit à l’image.

 

        En conclusion, M.Lopez est débouté de toutes ses demandes et, sauf cassation, ne profitera pas de l’argent généré par le film. Il me semble que cet arrêt est particulièrement dur à l’encontre de M.Lopez qui pouvait juridiquement prétendre à des droits sur l’œuvre. Il n’est pas impossible que la réprobation quasi-générale à l’encontre de M.Lopez qui a brisé le tabou de l’argent, ne soit à l’origine de cette décision.

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