Nouvel arrêt sur la vie privée du salarié
Le concept de vie privée du salarié a le vent en poupe depuis quelques années. L’année judiciaire 2001 avait notamment été marquée par le retentissant arrêt Nikon (Cass. Soc., 2 octobre 2001, abondamment commenté) aux termes duquel « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par lui grâce à lui par un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non-professionnelle de l’ordinateur ». Cet attendu, riche en contenu, était particulièrement défavorable aux employeurs en ce qu’il prévoyait une protection quasi-absolue des courriers électroniques du salarié. Surtout, l’arrêt ne semblait pas prévoir d’exception et de nombreuses questions se posaient (notamment comment savoir a priori ce qui est personnel ?).
La radicalité de cet arrêt a été estompée 4 ans plus tard par la même Chambre sociale dans un arrêt du 17 mai 2005. L’attendu, non moins étoffé, dispose : « sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnel contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé ». En l’espèce, le salarié avait été licencié notamment car l’employeur avait trouvé des photos pornographiques dans un fichier marqué personnel de l’ordinateur du salarié. Avec cet arrêt, l’accès de l’employeur aux fichiers personnels est largement facilité puisqu’il suffira de satisfaire à l’exigence formelle de le présence ou de l’appel du salarié. De plus, il pourra être passé outre cette garantie en cas de risque ou événement particulier (difficile à définir… ici la présence de photos pornographiques ne caractérise pas un tel événement).
C’est dans ce contexte (simplifié au vu de l’abondante jurisprudence en la matière) que la Chambre mixte de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt de principe du 18 mai 2007. Il ne s’agit pas dans cette affaire de nouvelles technologies mais tout simplement d’un simple courrier postal. Un salarié, chauffeur de direction, s’est fait livrer sur son lieu de travail une revue destinée à des couples échangistes. Conformément à la pratique habituelle et connue de l’intéressé (dixit l’arrêt), l’enveloppe a été ouverte par le service du courrier, puis déposée avec son contenu au standard. Certains employés ont protesté de la présence d’un tel magazine à l’accueil de l’entreprise. Une procédure disciplinaire a été engagée contre le chauffeur, procédure qui a abouti à une rétrogradation avec réduction du salaire.
La contestation de cette sanction n’a pas été retenu par la Cour d’appel et un pourvoi est formé contre cet arrêt. Parmi les moyens soulevés, 2 retiennent particulièrement l’attention des magistrats.
D’une part, le salarié prétendait que la sanction était fondée sur l’ouverture d’un courrier personnel, en violation de la liberté fondamentale du respect de l’intimité de la vie privée. Curieusement à mon sens, le secret des correspondances ne semble pas avoir été évoqué ici. Cet argument est rejeté car le pli était arrivé sans mention quelconque du caractère personnel du courrier. Par conséquent, « cet envoi avait pu être considéré, par erreur, comme ayant un caractère professionnel » et donc son ouverture était licite. Bien que cet élément ne soit pas repris par la Cour, le fait que le salarié avait l’habitude de se faire ouvrir son courrier a sans doute permis de ne retenir aucune faute. En bref, on peut considérer qu’il existe une présomption que le courrier reçu sur son lieu de travail sans mention expresse de son caractère privé soit professionnel, ce qui semble tout à fait justifié.
D’autre part, le pourvoi critiquait l’arrêt d’appel plus particulièrement sur le fondement de l’article 9 du Code civil protégeant le droit au respect de la vie privée et de l’article L.122-40 du Code du travail. Pour confirmer la sanction disciplinaire, les juges du fond ont retenu « qu’il est patent que le document litigieux, particulièrement obscène, avait provoqué un trouble dans l’entreprise, porté atteinte à son image de marque et eu immanquablement un retentissement certain sur la personne même de son directeur dont Monsieur X. était le chauffeur et donc un proche collaborateur ».
Cette motivation est censurée car « un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu, d’autre part, que la réception par le salarié d’une revue qu’il s’est fait adresser sur le lieu de son travail ne constitue pas un manquement aux obligations résultant de son contrat, et enfin que l’employeur ne pouvait, sans méconnaître le respect dû à la vie privée du salarié, se fonder sur le contenu d’une correspondance privée pour sanctionner son destinataire ». La première partie du raisonnement est un principe droit disciplinaire du travail, et n’appelle pas de commentaire particulier de ma part. Sur le fondement de la vie privée, c’est implicitement une sorte de discrimination pour prise en compte des mœurs du salarié qui est sanctionnée. En effet, ce n’est pas le principe même de recevoir une revue sur son lieu de travail qui peut entraîner une sanction (« ne constitue pas un manquement aux obligations résultant du contrat »). Nul ne sera jamais sanctionné pour recevoir au bureau un magazine d’information. C’est donc le contenu de la revue (pour couples échangistes) qui constitue le motif déterminant de la sanction. Or, ce type de pratique relève de la vie privée du salarié même s’il est certain que le lieu privilégié de l’intimité de la vie privée est le domicile familial et non le lieu professionnel.
A mon sens, cet arrêt est tout à fait justifiée car les journaux pour adultes ne sont pas illégaux et se le faire envoyer sur son lieu de travail n’est certes pas recommandé mais cela ne revêt pas un caractère suffisamment grave et préjudiciable pour l’entreprise pour justifier une rétrogradation (avec baisse de salaire). Surtout que contrairement aux arrêts précités, il n’y a pas en l’espèce de détournement du matériel de l’entreprise, comme c’était le cas avec l’utilisation de l’ordinateur et de la connexion Internet fournis par l’entreprise à des fins personnelles ou pour télécharger des photos pornographiques. De plus, au vu des faits de l’espèce, il semblerait que le trouble au sein de l’entreprise ait été presque davantage causé par le responsable du courrier qui n’a rien fait pour garder une certaine discrétion sur le contenu de la revue.